« Au cœur de cette difficulté particulière, à savoir trouver une solution impartiale unique au problème de la société parfaitement juste, il y a une « durabilité » de logiques de justice plurielles et concurrentes, qui peuvent toutes prétendre à l’impartialité mais n’en sont pas moins différentes – et rivales. En voici un exemple : il s’agit de décider lequel de ces trois enfants – Anne, Bob ou Carla – doit recevoir la flûte qu’ils se disputent. Anne la revendique au motif qu’elle est la seule des trois à savoir en jouer (les autres ne le nient pas) et qu’il serait vraiment injuste de refuser cet instrument au seul enfant capable de s’en servir. Sans aucune autre information, les raisons de lui donner la flûte sont fortes.
Autre scénario : Bob prend la parole, défend son droit à avoir la flûte en faisant valoir qu’il est le seul des trois à être pauvre au point de ne posséder aucun jouet. Avec la flûte, il aurait quelque chose pour s’amuser (les deux autres concèdent qu’ils sont plus riches et disposent d’agréables jouets). Si l’on n’entend que Bob et pas les autres enfants, on a de bonnes raisons de lui attribuer la flûte.
Dans le troisième scénario, c’est Carla qui fait remarquer qu’elle a travaillé assidûment pendant des mois pour fabriquer cette flûte (les autres le confirment) et au moment précis où elle atteint au but, « juste à ce moment-là » se plaint-elle, « ces extirpateurs tentent de [lui] prendre la flûte ». Si l’on n’entend que les propos de Carla, on peut être enclin à lui donner la flûte, car il est compréhensible qu’elle revendique un objet fabriqué de ses propres mains.
Mais si l’on a écouté les trois enfants et leurs logiques respectives, la décision est difficile à prendre. Les théoriciens de différentes tendances, comme les utilitaristes, les partisans de l’égalitarisme économique ou encore les libertariens purs et durs, diront peut-être que la solution juste, évidente crève les yeux. Mais il est à peu près certain que ce ne sera pas la même.
Il est probable que Bob, le plus pauvre, serait assez énergiquement soutenu par l’égalitariste économique, bien décidé à réduire les écarts entre les ressources économiques des gens. Et que Carla, la fabricante, éveillerait la sympathie immédiate du libertarien. C’est peut-être l’hédoniste utilitariste qui aurait le plus de mal à se décider, mais il serait sûrement enclin à trouver important, plus que le libertarien ou l’égalitariste, le plaisir d’Anne, qui sera probablement le plus intense des trois puisqu’elle est la seule à savoir jouer de la flûte. Néanmoins, il verrait aussi que le « gain de bonheur » serait chez Bob plus grand que chez les autres, en raison de son état de privation relative. Le « droit » de Carla à posséder ce qu’elle a fabriqué risque fort de ne pas éveiller chez l’utilitariste d’écho immédiat, mais une réflexion utilitariste plus poussée ferait néanmoins une place à la nécessité d’inciter au travail, de créer une société qui soutient et encourage la production d’utilités en autorisant chacun à garder ce qu’il produit par ses propres efforts. Le soutien du libertarien à Carla ne dépendra pas, comme ce serait nécessairement le cas pour l’utilitariste, d’une réflexion sur les incitations : un libertarien admet d’emblée le droit d’une personne à posséder ce qu’elle a produit. L’idée du droit aux fruits de son travail peut réunir une droite libertarienne et la gauche marxiste (et peu importe que chacune soit gênée de se retrouver en compagnie de l’autre).
L’idée générale qui s’impose ici est qu’il n’est pas facile de récuser d’emblée comme infondée l’une ou l’autre de ces revendications, qui reposent respectivement sur la recherche de la satisfaction humaine, l’élimination de la pauvreté et le droit de jouir des fruits de son travail. Les différentes solutions reposent toutes sur des arguments sérieux, et il est très difficile de déclarer, sans quelque arbitraire, que l’une d’elles doit incontestablement l’emporter.
Je voudrais aussi attirer ici l’attention sur un fait assez évident : les arguments qui fondent les positions des trois enfants divergent non pas sur ce qui constitue l’avantage individuel (tous les enfants estiment avantageux d’avoir la flûte et leurs raisonnements respectifs intègrent cette idée), mais sur les principes généraux qui doivent régir l’attribution des ressources. Ces différences portent sur la façon de prendre des mesures sociales et sur le type d’institutions sociales qu’il convient de choisir, et, par conséquent, sur les réalisations sociales qui en résulteront. Ce n’est pas seulement que les intérêts particuliers de ces trois enfants diffèrent (même si c’est le cas, bien sûr), c’est aussi que chacun des trois arguments renvoie à un type différent de logique impartiale et non arbitraire ».
Amartya SEN, L’idée de justice, Flammarion, 2009, pp. 38-40
Ch. 5 : Quelles politiques économiques dans le cadre européen ?
Objectifs du chapitre
Connaître les grandes caractéristiques de l’intégration Européenne (marché unique et zone euro) ; comprendre les effets du marché unique sur la croissance.
Comprendre les objectifs, les modalités et les limites de la politique européenne de la concurrence.
Comprendre comment la politique monétaire et la politique budgétaire agissent sur la conjoncture.
Savoir que la politique monétaire dans la zone euro, conduite de façon indépendante par la banque centrale européenne, est unique alors que la politique budgétaire est du ressort de chaque pays membre mais contrainte par les traités européens ; comprendre les difficultés soulevées par cette situation (défaut de coordination, chocs asymétriques).
Plan du cours :
La construction européenne : les degrés d’intégration
Les effets du marché unique sur la croissance
Les politiques européennes de la concurrence
Les politiques monétaire et budgétaire
Les défauts de coordination et les chocs asymétriques dans l’union européenne
La construction européenne : les degrés d’intégration
Document 1 : La construction européenne : un projet politique
Le 9 mai 1950, Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères, a proposé aux pays européens de créer une structure commune pour gérer les ressources de charbon et d’acier. Cette déclaration est prononcée au Quai d’Orsay dans le salon de l’horloge. Elle a une portée symbolique à plusieurs titres :
elle propose de rassembler des pays qui étaient ennemis lors des 2 guerres mondiales et de dépasser les anciennes rancœurs,
en créant une organisation ouverte aux autres pays européens qui le souhaiteraient, elle est le point de départ de la construction européenne.
Dans la déclaration qui porte son nom, Robert Schuman précise son projet : « La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l’Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible. (…) Ainsi sera réalisée simplement et rapidement la fusion d’intérêts indispensable à l’établissement d’une communauté économique qui introduit le ferment d’une communauté plus large et plus profonde entre des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes. »
L’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas répondent à l’appel et créent le 18 avril 1951 la Communauté européenne du charbon et de l’acier(CECA). Sur ce modèle, d’autres communautés vont suivre (comme en 1957, la Communauté économique européenne) et créer des solidarités à l’échelle de l’Europe jusqu’à la création de l’Union européenne que nous connaissons aujourd’hui.
Pour en savoir plus sur la Journée de l’Europe et la déclaration Schuman, vous pouvez : Découvrir le jeu « Mystère au Quai d’Orsay »qui vous permettra de visiter (entre autres) le salon de l’Horloge, lieu où fut prononcée la déclaration Schuman
Question 1 : A l’aide de vos connaissances et du document répondez à la question suivante : en quoi la construction européenne est-elle un projet politique ?
Question 2 : Expliquez l’intégration économique.
Document 2 : Les degrés d’intégration économique
« [Selon] François Perroux : « L’acte d’intégrer rassemble des éléments pour former un tout, ou bien il augmente la cohérence d’un tout déjà existant » (L’économie du XXe siècle).
« On distingue traditionnellement cinq degrés d’intégration économique :
– La zone de libre-échange se caractérise par une diminution ou une suppression des barrières douanières à l’intérieur de la région mais les pays composant la zone conservent des barrières douanières qui leur sont spécifiques avec les pays extérieurs à la zone.
– L’union douanière est une zone de libre-échange avec l’adoption d’une politique commerciale commune envers les pays extérieurs à la zone, caractérisée par la fixation d’un tarif extérieur commun.
– Le marché commun : les pays membres ajoutent à l’union douanière la libre circulation des facteurs de production. Cela suppose une harmonisation poussée des règlementations nationales, par exemple la fixation commune concernant les diplômes (…)
– L’union économique : peut se définir par l’adoption d’objectifs de politique économique communs, ce qui conduit à une harmonisation progressive des politiques économiques dans la zone
– L’union économique et monétaire : union économique au sein de laquelle existe une monnaie unique1. »
Source : D’après « Economie, sociologie et histoire du monde contemporain », sous la dir A. Beitone, 2016, éd Armand colin, collection U, 2ème éd, PP 463- 464 / « Aide-mémoire Economie », A. Beitone et al, 5ème éd Sirey, 2012, pp 459-460.
1Monnaie Unique : Un espace économique dispose d’une monnaie unique, lorsqu’une monnaie remplace les monnaies qui étaient jusque-là propres à chaque pays.
Question 1 : Rappelez les définitions des concepts suivants « politique économique » et « monnaie »
Question 2 : Quelle est la différence entre une zone de libre-échange et une union douanière ?
Question 3 : Donnez un exemple de zone de libre-échange et un exemple d’union douanière ?
Question 4 : Quelle est la différence entre le marché commun et l’union économique ?
Question 5 : Définissez l’union économique et monétaire.
Question 6 : Compléter les définitions ci-dessous
Union douanière :
Marché commun :
Union Economique :
UEM :
Question 7 : A quel type de barrières correspondent les droits de douanes ?
Document 3 : Les étapes de l’intégration européenne
« À partir de 1950, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) unit progressivement les pays européens sur les plans économique et politique afin de garantir une paix durable. Les six pays fondateurs de cette Communauté sont l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. En 1957, le traité de Rome institue la Communauté économique européenne (CEE) dont l’un des objectifs est d’établir un marché commun. Le 30 Juillet 1962, les Etats membres lance la « politique agricole commune » (politique prévue dans le traité de Rome, qui leur donne le contrôle conjoint de la production alimentaire. Les agriculteurs reçoivent le même prix pour leurs produits. Le 1er juillet 1968 les six pays fondateurs suppriment les droits de douane sur les biens qu’ils importent entre eux, permettant pour la première fois le libre-échange par-delà les frontières et appliquent également les mêmes droits sur leurs importations en provenance de pays non membres. Le 7 février 1992 Le traité sur l’Union européenne est signé à Maastricht, aux Pays- Bas. Il représente une avancée majeure car il établit des règles claires pour la future monnaie unique, la politique étrangère et de sécurité et une coopération plus étroite dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. En vertu du traité, l’appellation « Union européenne » remplace officiellement « Communauté européenne ». Le 1er janvier 1993 le marché unique1 est établi. 1er janvier 1999 l’euro est introduit dans 11 pays (rejoints par la Grèce en 2001), uniquement pour les transactions commerciales et financières. Les pays de la zone euro, c’est-à-dire ayant adopté l’euro comme monnaie unique, sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal. 1er juillet 2013 la Croatie adhère à l’Union européenne, dont elle devient le 28e État membre et le 1er Janvier 2015, 19 Etats sur les 27 de l’union européenne sont membres de la zone euro. Le 29 Mars 2017, le Royaume-Uni notifie sa sortie de l’Union Européenne».
1Marché unique (ou marché unique européen) : le marché unique correspond à un marché commun.
Question 1 : Quelle distinction peut-on faire entre l’Union européenne et la zone euro ?
Question 2 : Peut-on dire que l’intégration européenne a suivi dans l’ordre les étapes de l’intégration économique mis en évidence dans le document précédent ? Pourquoi ?
II. Les effets de la construction européenne sur la croissance
Document 4
Selon les estimations de la Commission européenne, les retombées du marché unique représenteraient entre 8 et 9 % du PIB de l’UE, compte tenu des conséquences directes sur les échanges mais également sur la concurrence.
Les avantages du marché unique sur la croissance économique
En l’absence de droits de douane, les échanges augmentent au sein de la zone aussi bien du côté des consommateurs que des producteurs. On sait aujourd’hui que le marché unique a permis de manière globale d’élargir et d’améliorer les choix pour les consommateurs tout en baissant les prix.
Des objectifs en matière de productivité des entreprises mais aussi de créations d’emplois et, par conséquent, de croissance économique sont attendus.
Pour les consommateurs :
Ces derniers bénéficient d’une production de masse à des prix plus bas, car les entreprises réalisent des économies d’échelle, qui correspondent à une baisse des coûts unitaires de production grâce à l’augmentation de la taille des marchés.
Les prix peuvent également diminuer du fait d’une concurrence accrue, car une protection des marchés nationaux n’est plus possible. Une stimulation de l’innovation grâce à la concurrence permet de proposer également des produits de meilleure qualité.
Pour les producteurs :
Pour les producteurs, on peut espérer une baisse des coûts de production et une augmentation de la concurrence sans oublier l’attractivité de la zone pour les investisseurs, notamment étrangers.
Effectivement, le marché unique permet une unification des marchés grâce à la libre circulation des biens mais aussi grâce à la libéralisation des services financiers, l’ouverture des marchés publics. Cela permet un approfondissement du processus d’intégration économique et surtout un élargissement des marchés.
Cette concurrence accrue va favoriser la mise en place d’une logique de baisse des coûts de production, possible grâce aux économies d’échelle, à une meilleure allocation des ressources ce qui va permettre à terme d’augmenter les investissements et de réaliser des gains de productivité, source de croissance économique.
N’oublions pas non plus que la stimulation de la concurrence pousse les entrepreneurs à innover aussi bien au niveau des produits qu’au niveau des procédés afin de conquérir de nouveaux marchés, de différencier et de diversifier leurs produits pour les consommateurs, de procéder à des transferts de technologie et de réduire leurs coûts de production.
Question 1 : Comment la hausse de la taille du marché ou des entreprises permet-elle une baisse des coûts de production ?
Question 2 : Comment la baisse des coûts de production permet-elle d’améliorer la compétitivité ?
Question 3 : Comment la hausse des investissements permet-elle la hausse de la production ?
Question 4 : Comment la hausse de la production conduit-elle à des économies d’échelle ?
Doc 5 : Effets de création et de détournement de commerce (doc 2 page 136, Magnard)
Document 6 (doc 4 page 137, Magnard)
III. Les politiques européennes de la concurrence
Document 7
La politique de la concurrence est d’abord apparue aux Etats-Unis où la puissance acquise par certaines grandes entreprises a conduit à la mise en place d’un arsenal législatif dès la fin du XIX° siècle (Sherman Act,18901; Clayton Act, 19142). Mais elle n’est encore qu’embryonnaire dans nombre de pays émergents et en développement. Dans les pays européens, elle ne s’est réellement imposée que sous l’impulsion de la construction communautaire à partir des années 1950. C’est une compétence européenne depuis le traité de Rome (1957). Il définit aujourd’hui les principes du droit de la concurrence en vigueur dans les pays membres, la compétence pour leur mise en œuvre étant partagée entre la Commission et les autorités nationales (en France l’Autorité de la concurrence, anciennement Conseil de la concurrence, autorité administrative indépendante et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF– , qui relève du ministère de l’Economie et des Finances).
Le contenu concret de la politique de la concurrence varie d’un pays à l’autre. Trois volets principaux se retrouvent ainsi dans le droit de la concurrence de la plupart des pays développés et de l’Union Européenne : la lutte contre les cartels de producteurs (article 101 du traité de Rome), la répression de l’ « abus de position dominante » (article 102 du traité de Rome) et le contrôle des opérations de concentration (règlement n° 139/2004). S’y ajoute, dans le cadre européen, la prohibition des aides accordées par un Etat à ses entreprises nationales, faussant ou risquant de fausser la concurrence (article 107 du traité de Rome).
Question 1 : Quel est l’objectif de la politique de la concurrence ?
Question 2 : Pourquoi l’UE a-t-elle intérêt à avoir une politique de la concurrence ?
Document 8
Ententes sur les prix, non-respect d’engagements… L’institution a connu une activité record l’an passé avec 295 opérations de concentration examinées et plusieurs amendes infligées.
Le montant des amendes prononcées par l’Autorité de la Concurrence s’est envolé en 2024, à 1,4 milliard d’euros, huit fois plus que l’année précédente, a annoncé l’institution ce mercredi 15 janvier. Il s’agit ainsi de la deuxième année la plus chargée pour l’organisme indépendant au service de la compétitivité et du consommateur qui a rendu onze décisions contentieuses l’année dernière, et examiné «un nombre record» de 295 opérations de concentration.
Ce montant en très forte hausse s’explique par plusieurs amendes de centaines millions d’euros infligées en 2024. Fin décembre, l’Autorité de la concurrence a par exemple sanctionné dix fabricants d’électroménager et deux distributeurs pour une entente sur les prix, à hauteur de 611 millions d’euros. Plus tôt dans l’année, quatre grands noms du secteur du matériel et de la distribution électrique, Schneider Electric, Legrand, Rexel et Sonepar s’étaient vus infliger 470 millions d’euros d’amendes pour «entente verticale» entre «fabricants et distributeurs».
Une manne pour l’État
Google figure également parmi les entreprises concernées par ce que l’Autorité de la concurrence considère comme des «décisions marquantes» de l’année 2024 : l’institution a sanctionné le géant américain à hauteur de 250 millions d’euros pour «non-respect de ses engagements en matière de droits voisins de la presse».
«L’Autorité a cette année encore examiné un nombre record d’opérations (295 opérations), représentant une hausse de 10% par rapport au précédent record de 2021», souligne par ailleurs l’institution. Le montant des amendes «contribue à alimenter le budget de l’État» car elles doivent être réglées directement au Trésor Public, rappelle l’Autorité.
Question 1 : Pour quelles raisons la Commission européenne va-t-elle sanctionner Google ?
Question 2 : En quoi cet abus de position dominante serait-il contraire à la politique de la concurrence européenne ?
IV. Politiques monétaire et budgétaire dans la zone euro
Document 11
« Finalement, Pourquoi l’euro ? Les pays participants à l’union économique et monétaire européenne ont parié que les avantages liés à la monnaie unique l’emporteraient sur les inconvénients. (…)
Du côté des avantages, on trouvait essentiellement deux arguments :
La monnaie unique supprime à la fois les coûts de transactions de change et l’incertitude liée aux variations du taux de change ; elle permet donc de réaliser des gains, surtout dans les pays les plus ouverts ; elle encourage les échanges de biens et services, et facilite les investissements dans d’autres pays de la zone, améliorant l’allocation des ressources ; elle accroît la transparence des prix ce qui accentue la concurrence. En bref, le marché unique complète la monnaie unique. (…)
Dans une zone très intégrée comme l’Europe la mise en place d’une politique monétaire unique est de toute façon nécessaire pour éviter les comportements visant à baisser le cours d’une monnaie.
Face à ces avantages, un inconvénient essentiel : la perte pour chaque pays, d’un instrument central de la politique économique, la monnaie, qui permettait de faire face à des chocs spécifiques ou chocs asymétrique d’origine politique (une alternance politique), sociale (grève générale) sectorielle1 (une grave crise dans un secteur clé), naturelle (ouragan). »
Source : D’après « Economie de l’euro », A. Benassy -Quéré et B. Coeuré, 3ème éd, 2014, coll. Repères, éd La Découverte, pp 8-10
1Secteur d’activité : ensembles d’activités productives présentant des caractéristiques communes.
Question 1 : Rappelez la définition des concepts suivants : « taux de change », « allocation des ressources », «coûts de transactions »
Question 2 : Pourquoi est-ce que la monnaie unique supprime les coûts de transactions de change et l’incertitude liée aux variations du taux de change ?
Question 3 : Comment la monnaie unique peut-elle accroître la transparence des prix?
Question 4 : Quelles sont les conséquences de la suppression des coûts de transactions de change et de l’incertitude liée aux variations du taux de change ?
Question 5 : Quel est l’effet de la dépréciation de l’euro sur la compétitivité prix des produits des entreprises européennes ?
Question 6 : Commentez la phrase soulignée.
Question 7: Quel est le principal inconvénient de la monnaie unique ? Pourquoi ? Appuyez-vous sur votre réponse à la question précédente.
Question 8: Dans la zone euro, comment un Etat peut-il faire face à un choc asymétrique?
Document 12 : Monnaie unique et interdépendances des Etats
« L’adoption d’une même monnaie par différents pays supprime l’ensemble des coûts liés aux variations des taux de change des monnaies entre elles. De ce fait, les échanges entre les différents pays de la zone sont facilités par la seule suppression des taux de change. Le poids du commerce intra zone augmente, ce qui favorise la transmission des fluctuations économiques d’une économie à l’autre. En effet, une accélération de la croissance dans un pays accroît les importations en provenance des autres pays, tirant ainsi la croissance du reste de la zone dans son sillage. »
Source : P. Artus et I. Gravet, La crise de l’euro, Armand Colin, 2012
Question 1 : Rappelez les définitions des concepts de croissance économique et de fluctuations économiques.
Question 2 : Pourquoi dit-on que l’adoption d’une monnaie unique « favorise la transmission des fluctuations économiques d’une économie à l’autre » ?
Question 3 : Qu’est-ce qu’une « surchauffe » ? Quelle politique économique conjoncturelle faut-il mettre en place en situation de surchauffe ?
Question 4 : Quelle politique économique conjoncturelle faut-il mettre en période de récession ?
Question 5 : Que peut-on dire des politiques budgétaires menées par les Etats au niveau national ?
Question 6 : Si un pays membre de la zone euro subit un choc asymétrique négatif quel type de politique budgétaire doivent mener les autres Etats-membres pour favoriser la croissance de la zone euro ?
Question 7 : les Etats- membres sont-ils nécessairement incités à mener une telle politique ? Pourquoi?
Question 8 : Quel problème cela met-il en évidence ?
Question 9 : Pourquoi le Brexit n’a-t-il pas entrainer un choc de la zone Euro ?
Question : Quelles sont les principales faiblesses de la monnaie unique, notamment au sujet des politiques communes ou des questions de souveraineté budgétaire ?
V. Les difficultés de coordination et chocs asymétriques dans la zone euro
Document 14: Politique monétaire et déséquilibres macroéconomiques
« Un problème majeur dans une union économique et monétaire est celui posé par ce que les économistes appellent « les chocs asymétriques ». Un pays A qui subit un choc récessif (…) ne peut pas baisser le cours de sa monnaie pour compenser le choc en rendant ses exportations moins chères. S’il veut compenser le choc, il doit mener une politique budgétaire expansionniste (…). De son côté, la politique monétaire est impuissante puisqu’elle se détermine sur les conditions macroéconomiques moyenne de la zone euro1. Elle est donc trop restrictive pour les pays à basse inflation et sous activité, trop accommodante pour les pays à haute inflation et surchauffe en présence de chocs asymétriques. Elle entraine des taux d’intérêt réels trop haut dans le premier type de pays et trop bas dans le second »
Source : D’après « Sortir de la crise et inventer l’avenir », Michel Aglietta, éd Michalon, 2014, pp 225-226
1 Au sein de la zone euro la BCE a comme objectif la stabilité des prix, c’est-à-dire un taux d’inflation dans la zone inférieure à 2%. Aujourd’hui la BCE ne cherche pas à lutter contre l’inflation mais contre la déflation.
Question 1 : Définissez la politique monétaire » et le «déséquilibre macroéconomique »
Question 2 : Rappelez la distinction entre une variable exprimée en valeur réelle et une variable exprimée en valeur nominale.
Question 4 : Expliquez le sens de la phrase suivante : « La politique monétaire se détermine sur les conditions macroéconomiques moyenne de la zone euro »
Question 5 : Pourquoi dit-on que la politique monétaire unique est « trop restrictive » pour les pays à basse inflation et sous activité en présence de choc asymétrique ?
Question 6 : Pourquoi dit-on que la politique monétaire unique est « trop accommodante » pour les pays à haute inflation et surchauffe en présence de choc asymétrique ?.
Question 7 : Rappelez ce qu’est le Policy mix
Question 8 : A l’aide des réponses aux questions précédentes et du document, montrez que le Policy-mix dans la zone euro est problématique.
Document 15 Chocs asymétriques dans la zone euro et aux USA
J.E. Stiglitz, C.E. Walsh et J-D. Lafay, Principes d’économie moderne, de Boeck, 4ème éd, 2014.
Question : Comparer la politique de la zone euro avec celle des Etats-Unis en cas des chocs asymétriques.
Document 16: Des politiques budgétaires encadrées
« Le passage à la monnaie unique en Europe suppose la mise en place d’une monnaie unique dont la conception et la mise en œuvre à la Banque centrale européenne. Pour préparer le passage à l’euro le traité de Maastricht (ratifié en 1992 et entré en vigueur en 1993) a imposé aux économies nationales une logique de convergence nominale1 qui portait sur les taux d’inflation, le taux d’intérêt, la dette publique et le déficit public. Pour respecter ses objectifs, de nombreux pays européens ont adopté des politiques conjoncturelles restrictives qui ont pesé sur la croissance et l’emploi.
Une fois l’euro mis en place, les politiques budgétaires européennes ont été soumises au pacte de stabilité et de croissance (PSC) adopté en 1997 (traité d’Amsterdam). Ce pacte a pour but d’éviter l’existence des « déficits excessifs » source d’inflation et de hausse des taux d’intérêt, affectant l’ensemble de la zone euro. Dans ce cas, le laxisme budgétaire d’un Etat aurait finalement des répercussions négatives pour tous les autres pays de la zone. Les conséquences de sa politique seraient mutualisées (…) C’est pourquoi le PSC plafonne le déficit public à 3% du PIB et la dette publique à 60% du PIB.
Il est cependant apparu que certains pays membres ne parvenaient pas à respecter les règles du PSC.
En 2005 un aménagement du pacte est décidé, il autorise les « dépassements limités et temporaires » de la limite des 3% du PIB pour le déficit public mais il maintient l’objectif d’équilibre budgétaire à moyen terme et il insiste sur la limitation de la dette publique à 60% du PIB. Le but affiché n’est pas de renoncer à utiliser la politique budgétaire comme instrument de stabilisation en cas de ralentissement de l’activité économique mais de retrouver des marges de manœuvre à cet effet en ramenant les déficits publics vers zéro ce qui permet de relancer l’activité économique en cas de choc asymétrique. »
Source : D’après « aide-mémoire Economie » A. Beitone et alii, Sirey, 5ème éd, 2012, pp 347-348/ « Economie de l’euro » A. B Quéré et B. Coeuré, éd La découverte coll. Repères, 3ème éd, pp 55-56, 2014
1Convergence nominale : Mouvement de rapprochement des caractéristiques économiques qui porte sur des variables nominales : taux d’intérêt nominal, dette publique, déficit public, taux de change nominal, taux d’inflation.
Question1 : Quelle est la différence entre le déficit public et la dette publique ?
Question 2 : Quel est l’objectif du traité de Maastricht ? Comment cela s’est-il traduit ?
Question 3 : Expliquez la « fonction de stabilisation » de l’Etat.
Question 5 : Quel lien peut-on faire entre inflation et coût réel de la dette ?
Question 6 : Pourquoi le « laxisme budgétaire » d’un Etat peut avoir des répercussions négatives sur tous les autres pays de la zone euro ?
Question 7 : Commentez le passage souligné.
Document 17 Les limites du PCS
« L’instauration de la monnaie unique et l’application du Pacte de Stabilité et de Croissance soulèvent [plusieurs] débats. (…)
Le premier concerne la difficulté à mettre en œuvre une politique mixte au niveau européen.
Dans le contexte actuel où la politique monétaire n’est utilisée que pour lutter contre l’inflation, la politique budgétaire des Etats doit faire face seule à la régulation de la production et de l’emploi. Or elle bute sur les règles du PSC qui sont pro-cycliques (en période de ralentissement conjoncturel, les
Etats doivent réduire leurs dépenses et augmenter les impôts pour limiter leur déficit public).
Le deuxième débat est de nature politique. Faute d’une intégration politique suffisante et d’une capacité à faire des choix politiques au niveau européen, les pays membres de la zone euro (et plus largement de l’Union européenne) s’en sont remis à l’application de règles (celle du Pacte de Stabilité et de Croissance notamment). (…) Cette situation empêche l’Europe de faire des choix stratégiques qui s’imposent dans une économie mondiale en pleine mutation, (…) enfin elle sape la légitimité politique de la construction européenne dans la mesure où les citoyens ont le sentiment d’une certaine impuissance des responsables de la politique économique. »
Source : « aide-mémoire Economie » A. Beitone et alii, Sirey, 5ème éd, 2012, p348
Question 1 : Pourquoi un Policy mix est problématique dans la zone euro ?
Question 2 : Expliquez les concepts de cycle économique et de stabilisateurs automatiques.
Question 3 : Pourquoi dit-on que les règles du PSC sont « pro-cyclique » ?
Question 4 : Montrez que le PSC rend difficile la mise en place d’un Policy mix au sein de la zone euro.
Question 5 : Quelle est la seconde critique adressée au PSC ? Pourquoi ?
Question 6: Quelle est la différence entre « dette publique » et « dette souveraine »
Document 18 :Le Budget européen
Le budget de l’Union Européenne est insuffisant par sa taille et les moyens devraient être renforcés pour promouvoir la compétitivité et l’innovation. L’Union Européenne n’étant pas souveraine, elle ne lève aucun impôt. (…) Le budget est donc alimenté exclusivement par les contributions des Etats membres.
Il est évident que le budget européen est insuffisant pour participer aux objectifs de la stratégie Europe 20201. (…) Il faut inventer un modèle de solidarité européenne dédié à la croissance.
Le budget européen doit être réorienté servir les objectifs que l’on prétend vouloir atteindre. Le minimum que l’on puisse attendre de l’ambition de progresser dans l’intégration économique est que le budget européen est la taille adéquate pour financer les biens publics européens indispensables à un projet de croissance commun. (…) De plus l’innovation développée sur toute l’Europe est directement liée à la formation d’un marché du travail européen par la mobilité de la main d’œuvre, la reconnaissance des qualifications entre Etats-membres, donc les programmes et cursus de formation avec labels européens. Cela implique de créer des universités technologiques par coopération des Etats, des investissements prioritaires dans les pays en difficultés (…). L’union européenne doit être capable d’avoir des ressources budgétaires qui lui sont propres pour favoriser la croissance.
Source : « Sortir de la crise et inventer l’avenir », M. Aglietta, éd Michalon, 2014, pp 238-241
1 Europe 2020 : Europe 2020 est le plan 2010-2020 dont l’objectif est d’accroître le rythme de la croissance potentielle de l’union européenne en favorisant l’innovation, l’emploi…
Question 1 : Commentez la phrase soulignée.
Question 2 : Quelles solutions sont préconisées pour favoriser la croissance économique dans l’Union européenne ? Que peut-on en déduire ?
Philippe Martin, le Doyen de l’Ecole des affaires publiques et professeur à Sciences Po (Paris) nous a quitté en décembre 2023. J’ai eu la chance de suivre le cours d’Intégration européenne (European integration) dispensé par Philippe Martin en anglais à l’Université de Paris 1 pendant ma maîtrise (première année de Master). Son cours avait une forte composante économie géographique et nous avons étudie le modèle centre-périphérie (core-pheriphery), the lock-in effect et les externalités positives (spillovers). Ce cours nous a permis de mieux comprendre le choix certaines activités économiques dans des différentes régions de l’Europe.
Il était diplômé de Sciences Po et est titulaire d’un doctorat d’économie de l’Université de Georgetown (Washington DC). Avant d’enseigner en France, il a été économiste à la Federal Reserve Bank of New York et professeur assistant à Genève. Il a reçu le prix du meilleur jeune économiste en France en 2002.
Ses travaux de recherche portent sur le commerce international et la macroéconomie internationale. Il a publié des articles dans American Economic Review, Quarterly Journal of Economics, Review of Economic Studies et Journal of International Economics entre autres. Il a aussi co‐écrit un ouvrage sur l’économie géographique publié par Princeton University Press ainsi que des ouvrages aux éditions de la rue d’Ulm/CEPREMAP et Oxford University Press.
Il a été directeur du Département d’économie de Sciences Po, professeur à l’Université de Paris 1‐Panthéon‐Sorbonne, à l’École d’économie de Paris, à l’Ecole Polytechnique et membre de l’Institut universitaire de France.
Il a été conseiller économique de Emmanuel Macron (2015‐2016) lorsque celui ci‐était ministre de l’Économie.
Il a été Président délégué du CAE de janvier 2018 à septembre 2022. Il est aussi Vice‐président et Research Fellow au Center for Economic Policy Research (CEPR, Londres).
Pré-requis : Chapitres de première : les marchés imparfaits ; le financement de l’économie, la monnaie ; chapitre de terminale sur les politiques économiques (Quelles politiques économique dans le cadre européen ? et Quelles politiques pour l’environnement ?)
Objectifs :
• Savoir donner les principales caractéristiques de la crise financière des années 1930 et de celle de 2008 : effondrement boursier, faillites en chaîne, chute du PIB et accroissement du chômage.
• Savoir expliquer et savoir illustrer la formation et l’éclatement d’une bulle spéculative : savoir illustrer les comportements mimétiques et les prophéties auto réalisatrices
• Savoir expliquer les phénomènes de panique bancaire et de faillites bancaires en chaîne.
• Savoir expliquer les principaux canaux de transmission d’une crise financière à l’économie réelle : effets de richesse négatif, baisse du prix du collatéral et ventes forcées, contraction du crédit.
• Savoir donner les principaux instruments de régulation du système bancaire et financier qui permettent de réduire l’aléa moral des banques : supervision des banques par la banque centrale, ratio de solvabilité.
Le samedi 7 février 2009, peu avant l’aube, 3 582 pompiers sont intervenus sur l’ensemble du territoire de l’État australien du Victoria. Ce jour-là, les feux de brousse ont dévasté 400 000 hectares, détruit 2 056 maisons et ôté la vie à 173 personnes. Les Australiens ont qualifié cette journée de « Samedi noir » (Black Saturday, en anglais).
Cependant, ce matin-là, aucune alerte d’incendie n’avait été lancée. Comment les pompiers de l’État du Victoria ont-ils donc été alertés ? Ils l’ont été grâce à un indicateur appelé l’indice de danger d’incendie de forêt de McArthur (McArthur Forest Fire Danger Index ou FFDI, en anglais) qui, la veille, avait dépassé ce qui était (jusque-là) son niveau maximal calibré à 100, un niveau qui avait été atteint seulement lors des feux de brousse de janvier 1939. Lorsque cet indice est supérieur à 50, il indique un danger « extrême ». Une valeur excédant 100 représente un danger « catastrophique ». Le 6 février 2009, l’indice FFDI avait atteint 160.
Ce n’était pas une simple étincelle ou un éclair qui avait causé le Samedi noir. Tous les jours, des étincelles provoquent des petits feux de brousse et, pour cette seule journée, la Commission royale signala 316 cas distincts de feux d’herbe, de broussaille ou de forêt. Ce sont des circonstances particulières qui transformèrent des feux apparemment sans réel danger en un désastre sans précédent.
Comme pour le Samedi noir, de petites causes ont parfois des conséquences très importantes. Dans le cas d’un réseau électrique, la défaillance d’un seul maillon du réseau entraîne la surcharge d’autres maillons, entraînant des coupures électriques en cascade. Les avalanches constituent un autre exemple naturel.
On retrouve également ce phénomène d’effet papillon (petites causes aux lourdes conséquences) en économie, par exemple lors de la Grande Dépression des années 1930 ou lors de la crise financière mondiale de 2008.
Contrairement aux feux de brousse au sud-est de l’Australie en 2009, la crise financière mondiale a pris par surprise les ménages, les entreprises et les gouvernements du monde entier. Le potentiel d’une croissance fondée sur l’endettement à créer de tels ravages fut complètement négligé durant les années précédentes de croissance stable, caractérisées par une gestion macroéconomique apparemment réussie et que l’on a appelées la Grande Modération.
Les décideurs économiques à l’échelle mondiale n’étaient tout simplement pas préparés. Ils découvrirent à cette occasion qu’une longue période d’accalmie sur les marchés financiers pouvait rendre une crise plus probable. C’est un argument que l’économiste Hyman Minsky avait pourtant avancé bien avant la Grande Modération. En 1982, Minsky écrivit un ouvrage intitulé Can “It” Happen Again? (Est-ce que cela peut se reproduire ?, en français) sur le fait que des périodes de tranquillité conduisent les entreprises à recourir à des méthodes de financement de leurs investissements plus risquées. En d’autres termes, une période telle que la Grande Modération contenait les germes de la prochaine crise financière. Son avertissement fut ignore.
De nombreux économistes continuèrent de penser que l’instabilité économique était un phénomène du passé, jusqu’à ce que la crise éclate. C’est comme si les pompiers australiens avaient appris que l’indice FFDI avait atteint un niveau de 160, mais qu’ils n’avaient pas réagi, parce qu’ils ne pensaient pas qu’un incendie soit possible.
À quelques exceptions près, la plupart des décideurs politiques et leurs conseillers économiques continuaient de penser que le secteur financier était capable de s’autoréguler. Au lieu de se montrer plus vigilants, les économistes et régulateurs se complaisaient dans cette période d’accalmie que fut la Grande Modération.
Certaines des personnes impliquées admirent par la suite que leurs anticipations sur la stabilité de l’économie étaient erronées. Par exemple, Alan Greenspan, l’ancien président de la banque centrale américaine (la Réserve fédérale), reconnut que la crise financière avait révélé un « défaut » dans sa croyance que des marchés libres et concurrentiels garantissaient la stabilité financière.
Pour les économistes et les historiens, les événements de 2008 ressemblaient de façon inquiétante aux événements qui avaient marqué le début de la Grande Dépression de 1929. Les causes de la Grande Dépression nous apparaissent comme étant dramatiques, et ont dû être terrifiantes pour ceux qui les ont réellement vécues. Ainsi, les événements de 2008 montrent également comment le fait de ne pas tirer entièrement les enseignements de l’histoire crée les conditions de nouvelles crises.
Illustration Mère migrante de Dorothea Lange (1936).
Library of Congress, Prints & Photographs Division, FSA/OWI Collection, LC-DIG-fsa-8b29516.
Notes : Pour beaucoup, la « Mère migrante » de Dorothea Lange est l’image la plus emblématique de la Grande Dépression, illustrant les conditions misérables dans lesquelles beaucoup de personnes se sont trouvées au cours de cette période. Sur cette photo, Florence Owens Thompson, ouvrière agricole migrante, âgée de 32 ans, et trois de ses enfants sont pris, blottis les uns contre les autres, dans une tente dans un camp de cueilleurs de pois à Nipomo, en Californie.
En 2008, les économistes se sont souvenus des leçons de la Grande Dépression aux États-Unis : ils ont alors encouragé les décideurs publics à adopter des actions concertées à l’échelle internationale pour garder le système bancaire en état de fonctionnement et stopper l’effondrement de la demande agrégée. En novembre 2008, lors du sommet du G20 à Washington, le Premier ministre britannique Gordon Brown dit aux journalistes : « Nous devons nous accorder sur l’importance de coordonner les politiques monétaires et budgétaires. Il y a urgence. En agissant maintenant, nous pouvons stimuler la croissance dans toutes nos économies. Le coût de l’inaction sera bien plus important que le coût de n’importe quelle action. » Nombre de décideurs politiques influents dans cette crise étaient alors des économistes qui avaient étudié la Grande Dépression. Ils appliquèrent les leçons tirées de leur analyse.
Une crise financière résulte de la combinaison d’une crise boursière (ou krach boursier), d’une crise bancaire et, la plupart du temps d’une crise de change. Une crise boursière se traduit par un effondrement général du cours des titres sur une ou plusieurs places boursières. Cette chute de la valeur des titres s’explique par des ventes massives qui résulte d’une crise de confiance des opérateurs. La crise boursière d’octobre 1929 aux Etats Unis marque le début de la crise des années 1930. Une crise bancaire est une dégradation de la situation des banques qui sont victimes d’une perte de confiance (…). Les crises bancaires peuvent se traduire par des faillites bancaires en chaîne et culminer en crise systémique (comme aux Etats Unis lors de la crise de 1929). Une crise de change se manifeste par la chute brutale du cours du change d’une ou plusieurs devises. (…) En 1987, la place de New York et d’autres places dans le monde ont été affectées par une crise boursière importante articulée à une crise de change (chute du dollar)
Source : Dictionnaire de science économique, 5ème édition, A. Beitone, A. Cazorla, E. Hemdane
Question 1 : Rappeler les définitions de « titres », donner des exemples de titres et les raisons d’en acheter.
Question 2 : Rappeler la définition de « taux de change », le nom donné à la baisse de la valeur d’une monnaie et les raisons possibles de la baisse de la valeur de cette monnaie
Question 3 : Quelle est la définition d’une crise financière.
Document 2 : Crise financière et risque systémique : des effets dépressifs sur l’activité économique
Les crises financières traduisent en général une instabilité financière forte. Elles désignent des perturbations sur les marchés bancaires et financiers qui conduisent à la défaillance d’établissements bancaires et financiers, avec un risque de propagation à l’ensemble du système financier– que l’on qualifie de « risque systémique » – de telle sorte qu’est mise en danger l’une au moins des trois fonctions clés du système financier: l’allocation du crédit et des capitaux, la circulation des moyens de paiement et l’évaluation des actifs financiers. Les crises financières sont d’une ampleur variable. Les plus graves, telles celles de 1929 ou de 2008, ont des effets dépressifs importants sur l’activité économique.
Source : Encyclopedia Universalis, article « crise financière » écrit par Dominique PLIHON: professeur d’économie à l’université de Paris-XIII-Villetaneuse
Question 1 : Quelles sont les trois fonctions du système financier ? Expliquez ces fonctions.
Question 2 : Qu’est- ce que le risque systémique ?
Document 3 : Définition de spéculation
Selon N. Kaldor (1939), la spéculation peut se définir comme l’achat (ou la vente) de marchandises en vue d’une revente (ou d’un rachat) à une date ultérieure, là où le mobile d’une telle action est l’anticipation d’un changement des prix en vigueur, et non un avantage résultant de leur emploi
Question : Illustrer la définition donnée de la spéculation.
Document 4 Choc externe ou instabilité endogène au capitalisme ?
Les économistes ont cherché depuis longtemps à expliquer les raisons qui sous-tendent les phénomènes d’instabilité et de crises financières. Deux courants de pensée s’opposent à ce sujet : il y a, d’un côté, les théoriciens qui ont une vision optimiste du fonctionnement de la sphère financière et qui considèrent que, dans les circonstances habituelles, les marchés fonctionnent bien et tendent à converger spontanément vers l’équilibre. Pour eux, l’instabilité et les crises financières correspondent à des épisodes exceptionnels et sont généralement causées par des facteurs exogènes, c’est-à-dire extérieurs à la sphère financière, tels que des politiques publiques inadaptées. Le second courant de pensée considère, au contraire, que l’instabilité et les crises financières sont endogènes, c’est-à-dire inhérentes au fonctionnement même de la finance et du capitalisme. Selon cette conception, les comportements des agents économiques et les imperfections des marchés sont à l’origine des dysfonctionnements récurrents de la finance.
Source : Encyclopedia Universalis, article « crise financière » écrit par Dominique PLIHON: professeur d’économie à l’université de Paris-XIII-Villetaneuse
Question: Quels sont les deux modèles utilisés pour expliquer les crises financières ?
Document 5: La crise financière expliquée comme le résultat d’un choc externe
Les paniques bancaires sont plus à même de se produire lorsque les bilans des banques sont affaiblis, augmentant la probabilité de défaillances bancaires. Cette vulnérabilité des banques peut être imputée au fait que les autorités chargées de surveiller les banques ont mal fonctionné et n’ont pu détecter les risques de défaillance ; les banques peuvent également être victimes de chocs (crise économique ou politique) entraînant une dégradation rapide de leur bilan.
Source : Dominique PLIHON, « CRISES FINANCIÈRES – Instabilité financière », EncyclopædiaUniversalis [en ligne], consulté le 14 avril 2021.
Document 6: Exemple de crise bancaire et de phénomène de panique bancaire : faillites bancaires en chaîne provoquées par un choc externe
Vidéo : Ce film explique la façon dont un établissement financier peut se retrouver au cœur d’une crise majeure, qui se propage de banque en banque puis à toute l’économie https://www.citeco.fr/comprendre-la-crise-%C3%A9conomique-de-2008
Question 1: Qu’est-ce que le passif d’une banque ? Son actif ? Comment se rémunère-t-elle ?
Question 2: Dans cette vidéo, pourquoi la banque risque-t-elle de faire faillite ?
Question 3: Qu’est-ce que l’effet domino ? A-t-on observé un « effet domino » lors des crises de 1929 et de 2008 ?
Question 4: Dans cette vidéo, à quel évènement est dû la crise bancaire ? Peut-on dire que la crise de 1929 ou celle de 2008 soit due à un choc politique similaire ?
Document 7: La crise financière expliquée comme une instabilité endogène au capitalisme (Minsky)
Une approche plus radicale, qualifiée d’« hypothèse d’instabilité financière », a été proposée par Hyman Minsky (1982) pour qui les crises sont endogènes au fonctionnement de l’économie capitaliste. Minsky raisonne dans le cadre d’une économie où, (…) les comportements financiers des agents sont « naturellement » déstabilisants. Minsky relie la fragilité financière des économies capitalistes au cycle des affaires et associe les crises financières au point de retournement de celui-ci. Pendant la phase ascendante du cycle, les entreprises sont « euphoriques » : les opportunités de profit vont stimuler leur recours à l’endettement pour soutenir leurs projets d’investissement. Durant le boom de l’investissement, l’économie se déplace d’une structure financière robuste vers une structure financière fragilisée par le surendettement et la spéculation. (…). La forte demande de crédit entraîne une hausse des taux d’intérêt, amplifiée par les autorités monétaires qui tentent de lutter contre une création excessive de liquidités. Cette hausse du taux d’intérêt constitue le déclenchement endogène de la crise. En effet, les entreprises surendettées (…) sont mises en difficulté : leurs actifs liquides deviennent insuffisants pour payer les intérêts et rembourser les dettes. Il s’ensuit des ventes de détresse, un effondrement des prix des biens et des actifs financiers, ainsi qu’un arrêt des investissements. On assiste alors à une crise financière qui précipite le retournement du cycle économique.
Question : Comment Minsky explique-t-il les crises financières ? Ce modèle permet-il d’expliquer la crise de 1929 et celle de 2008 ? Justifier.
Les caractéristiques de la crise des années 1930
Objectif:Connaître les principales caractéristiques de la crise financière des années 1930
Document 8
Les années 1920, appelées roaring twenties en raison de la prospérité qui les accompagne, voient le développement d’un phénomène ancien, la spéculation, se faire dans des formes importantes sur les marchés financiers, au point d’en inquiéter les autorités. En effet, les cours de la Bourse de New York augmentent d’environ 12% par an dans les années 1920, ce qui correspond à un triplement en moins de dix ans. Au cours de l’année précédant le krach, de septembre 1928 à septembre 1929, l’indice Dow Jones double. Cette spéculation est largement soutenue par le développement du crédit. Les spéculateurs s’endettent pour acheter des actions qu’ils espèrent revendre à un prix plus élevé et ainsi réaliser une plus-value rapide, leur permettant de rembourser leur crédit et de conserver un profit important. Cette pratique est néanmoins fort risquée puisqu’en cas de pertes, celles-ci sont démultiplié es par l’ampleur de l’endettement du spéculateur. Or, 80 % des achats d’actions sont réalisés à crédit en 1929. Dans un contexte de surendettement ne se limitant pas aux Etats-Unis, plusieurs événements vont conduire à une série de faillites bancaires, ce qui conduit à une diminution du crédit et à une baisse du financement de l’économie. La première crise bancaire commence en octobre 1930, un an après l’effondrement boursier, et se termine en janvier 1931 ; d’autres faillites auront lieu en 1931, puis en 1932-1933 ; enfin en 1933, le Président Roosevelt nouvellement élu dé clare dix jours de fermeture (temporaire) des banques pour éteindre la panique. Fermeture qui s’avèrera définitive pour 1500 banques dans cette dernière vague de faillites. Au total le nombre de banques a été divisé par deux aux Etats-Unis, de 25 000 à 12 000 (Hautcoeur, 2009). L’effondrement des cours boursiers a repris en 1930 et se poursuivra jusqu’en 1932 : les cours ont alors perdu 90 % de leur valeur de 1929. Se conjuguant avec les faillites bancaires et les pertes des déposants, l’effondrement des cours boursiers constitue un effet de richesse négatif : il réduit le patrimoine de certains ménages qui vont par conséquent limiter leur consommation et leur investissement logement. La baisse de la demande sur le marché des biens et services et le marché de l’immobilier entraîne alors la baisse d’autres prix comme celui de l’immobilier – ce qui réduit là encore le patrimoine des ménages. Les phénomènes décrits ci-dessus conduisent à une augmentation de l’incertitude, ce qui incite les consommateurs à reporter leurs achats de biens durables. Les faillites bancaires ont fait disparaître une partie de l’épargne des ménages et réduit leurs possibilités d’effectuer des achats. De même et de façon plus importante, ces faillites bancaires réduisent le financement de l’économie, l’investissement se contracte, la production diminue, la crise s’aggrave et les licenciements augmentent. Si les prix diminuaient déjà depuis 1925- 1926 dans le monde entier, la crise aggrave la déflation qui pèse à la baisse sur l’activité . D’après les données de la Société des Nations, la production industrielle entre 1929 et 1932, a diminué de 46 % aux Etats-Unis, de 42 % en Allemagne, de 23 % en France et de 16 % au Royaume-Uni. Le chômage passe de 3 % à 15 % de la population active aux Etats-Unis, ce qui représente 15 millions de personnes en 1933. Tous les secteurs sont touchés, l’industrie comme l’agriculture où nombre d’exploitants sont ruinés et doivent vendre leurs terres. Ces événements encouragent les migrations d’une région à l’autre ; la misère et les bidonvilles se développement. Le phénomène n’est pas limité aux Etats-Unis puisque le taux de chômage a atteint 26,6 % en 1931 au Royaume-Uni, 33,7 % en 1930 en Allemagne pour rester durablement entre 10 % et 15 % dans ces pays.
Source: Philippe Aghion, Pierre-Michel Menger, « comment expliquer les crises financières et réguler le système financier », Campus de l’innovation pour les lycées, collège de France, 2021.
Question 1. Expliquer le déroulement de la crise financière des années 1930.
Question 2. Justifiez mathématiquement la phrase en gras.
Les caractéristiques de la crise de 2008
Objectif: Comprendre les caractéristiques de la crise de 2008 (effondrement boursier, faillites en chaîne, chute du PIB et accroissement du chômage)
Document 9
La crise financière déclenchée en aout 2007 est généralement considérée comme la plus importante depuis 1929. (…) Cette crise des subprimes, qui est la conséquence d’une crise des dettes privées, a entraîné ensuite cette crise financière. Cette crise bancaire a pris source sur le marché du crédit hypothécaire aux Etats-Unis. Pendant le début des années 2000, dans un contexte de politique monétaire accommodante et de croissance soutenue de l’économie américaine, les banques ont accordé des crédits immobiliers à des ménages peu solvables. Ces crédits étaient à taux variables (faibles au début, puis fortement croissants ensuite) et ils étaient garantis par la valeur des biens immobiliers acquis. Dans la première moitié de l’année 2007, le boom de l’immobilier américain s’est interrompu, des défauts de paiements de plus en plus nombreux sont intervenus et ces crédits à risque (crédits subprimes) sont devenus des pertes potentielles pour les banques. On a alors découvert qu’une bonne partie de ces crédits avaient été titrisés, c’est-à-dire transformés en actifs financiers négociables et revendus à d’autres banques attirées par des rendements élevés. Si la titrisation permet en principe de répartir les risques (la banque qui a accordé les prêts en revend une partie à d’autres acteurs financiers) elle conduit aussi à disséminer le risque.
Source : Alain Beitone et alii, Economie, Aide-mémoire, Sirey, 2012
Question 1. Pourquoi, dans les années 2000, les banques ont-elles accordé des prêts immobiliers à des ménages peu solvables ?
Question 2. Qu’est-ce qui rendait ces crédits dangereux pour les ménages ? Pourquoi les ménages peu solvables ont souhaité acquérir des prêts immobiliers ?
Question 3. Pourquoi, à votre avis, le boom de l’immobilier américain s’interrompt en 2007 ?
Question 4. Pourquoi la crise de l’endettement privé devient-elle une crise bancaire ?
Question 5. Expliquer la dernière phrase.
Synthèse: Comparez les caractéristiques de la crise de 1929 avec celles de la crise de 2008
Objectif : Comprendre et savoir illustrer la formation et l’éclatement d’une bulle spéculative (comportements mimétiques et prophéties auto-réalisatrices).
Document 10 : Une des premières crises financières : l’éclatement d’une « bulle spéculative » sur le prix de la Tulipe
Citant Charles Mackay, John Kenneth Galbraith, dans sa Brève Histoire de l’euphorie financière (1992, édition française), évoque l’histoire de ce jeune marin hollandais du XVIIe siècle qui s’en alla déguster un beau hareng rouge, avec ce qu’il croyait être un oignon. L’objet de sa gourmandise était en fait un bulbe de Semper Augustus, tout juste arrivé du Levant et dont son propriétaire avait aussitôt constaté qu’il manquait à la cargaison fraîchement débarquée : il valait alors, au plus fort de la « tulipomanie » en 1636, quelque 3 000 florins, soit bien assez pour acquérir « un carrosse neuf, deux chevaux gris et leur harnais » ! Importée en Europe occidentale, à partir du XVIe siècle, des pays de la Méditerranée orientale et, plus à l’est, de Constantinople notamment, la tulipe suscita en Hollande un engouement incroyable. La fascination des collectionneurs céda bientôt la place à des échanges purement spéculatifs. La spéculation se fixa là sur un bien étrange support, une fleur. Mais, tant que l’engouement persistait, chacun pouvait acheter un jour donné, même à un prix exorbitant et sans mesure aucune avec la valeur intrinsèque de la tulipe, en pensant pouvoir revendre à un prix encore plus démentiel le lendemain. Tant que tout le monde pensait ainsi, se berçant d’illusions, la bulle, en l’occurrence l’écart grandissant entre une valeur d’échange faramineuse et la faible valeur intrinsèque d’un bulbe de fleur, pouvait gonfler encore et encore. Sans qu’on sache l’expliquer, le retournement brutal eut lieu en 1637 : panique, ruines et faillites mirent fin au rêve hollandais, plongeant l’économie dans une récession durable.
Question 1: Pourquoi le prix de la tulipe a -t-il augmenté au XVIème siècle ?
Question 2: Relever dans le texte la définition d’une bulle spéculative
Question 3: Comment connaitre la valeur réelle d’un actif ?
Question 4: En quoi la hausse des taux d’intérêt peut permettre de lutter contre une bulle spéculative ?
Document 11: Définition des bulles spéculatives
Ecoute du podcast : https://www.melchior.fr/pourquoi-y-t-il-encore-des-bulles-thomas-renault-maitre-de-conference-l universite-paris-1-pantheon
Question 1: Pourquoi, les agents économiques ont-ils tendance à adopter des comportements mimétiques(=moutonniers) c’est-à-dire à imiter les autres ?
Question 2 : Si tous les agents économiques s’imitent et achètent tous un bien ( actif réel) ou un titre ( actif financier) en pensant que cet actif va prendre de la valeur plus tard, que fait le prix de cet actif ? Pourquoi Keynes parle-t-il alors de « prophétie autoréalisatrice » ou d’ « anticipation autoréalisatrice » ?
10.3.Comment expliquer la panique bancaire et les faillites bancaires en chaîne?
Objectif:Comprendre les phénomènes de panique bancaire et de faillites bancaires en chaîne.
Document 12: De l’euphorie à la panique : bulle et retournement des anticipations
Une bulle immobilière n’est pas un phénomène anodin ; c’est une richesse immense qui se trouve soudainement créée. Aussi offre-t-elle des opportunités de profit exceptionnelles qui ne sauraient laisser indifférents les hommes de la finance. En fournissant du crédit, ceux-ci font leur métier : ils cherchent à s’approprier via les intérêts une part de cette nouvelle richesse. Mais, dans le même temps, ce financement supplémentaire qu’ils dispensent donne une nouvelle impulsion au mouvement haussier. (…) La bulle résulte in fine de l’action coordonnée des acheteurs et des prêteurs. Il en est ainsi parce que les intérêts de ces deux groupes sont partiellement convergents. Ils souhaitent tous deux que la hausse des prix continue. (…) Tous les prêts ont connu de bonnes performances tant que les prix (de l’immobilier) augmentaient. Ce qui est bien évidemment un argument fort pour que les prêteurs continuent à les émettre, voire à faire mieux. C’est un exemple de mimétisme propre au marché financier – faire comme les autres-et de sa rationalité. (…) Le retournement du marché immobilier commence à produire ses effets (…) suite aux difficultés de HSBC et de New century Financial sur les prêts. Fin février ce sont les pertes subies par Novastar, autre grand acteur sur le marché des prêts à risque, qui provoquent une nouvelle hausse de la prime (de risque). (…) la première réaction pour faire face à cette montée brutale de l’incertitude consiste à se replier sur des actifs sûrs, ce que l’on appelle la course à la qualité et à la liquidité. (…) Tous les acteurs cherchent à se procurer des liquidités, que ce soit pour faire face aux difficultés présentes ou dans l’éventualité de difficultés à venir. Face à cette pression, l’offre (de liquidité) disparait : les marchés se bloquent et la liquidité s’assèche.
Source : De l’euphorie à la panique : penser la crise financière. André Orléan, CEPREMAP, 2009
Question 1 : En période de hausse du prix des actifs au- dessus de leur prix d’équilibre est-il rationnel de continuer d’en acheter ? Dans quel but les épargnants achètent-ils des actifs ? Dans quel but les banques continuent-elles à accorder des crédits ?
Question 2 : A quel moment les anticipations des agents se retournent-elles ?Est-il alors rationnel de vendre ses actifs, pourquoi ?
Question 3 : Pourquoi l’offre de liquidité finit-elle par disparaitre ?
Document 13: Quand la somme des intérêts individuels divergent de l’intérêt général
Les acteurs d’un système économique peuvent se comporter rationnellement de leur propre point de vue, mais le résultat peut être nuisible du point de vue de la collectivité dans son ensemble. (…) Prenons un actif risqué auquel une banque s’expose fortement. Si les choses se passent bien, l’actif aura un fort rendement et les actionnaires recevront beaucoup d’argent ; si les choses vont mal, l’actif perdra une partie de sa valeur, les actionnaires ne recevront rien et les créanciers, et peut-être les salariés aussi souffriront. Il y a alors une externalité négative sur les parties prenantes. De plus, il est possible que la banque puisse continuer à emprunter malgré sa prise de risque si les prêteurs pensent que l’Etat viendra sauver la banque en cas de difficultés. Dans ce cas, la divergence entre intérêt individuel et collectif est claire ; selon la formule consacrée, les gains sont privatisés et les pertes socialisées. (…) Une autre cause de dysfonctionnement (…) provient du système de rémunération. Qu’ils soient dus à une connivence entre le comité de rémunération du conseil d’administration et les dirigeants ou à la volonté d’attirer les meilleurs talents, les bonus encouragèrent les comportements court-termistes observés pendant la crise financière de 2008.
Source : Economie du Bien Commun, J. Tirole, 2018
Question 1 : Pourquoi J. Tirol écrit-il que lors d’une crise financière comme celle de 2008, les gains sont privatisés et les pertes socialisées ? Pourquoi est-ce un cas d’externalité négative ?
Document 14: Les inégalités sont-elles à l’origine des crises ?
C’est la thèse des économistes Michael Kumhof et Romain Rancière. Dans un article publié fin novembre pour le FMI, ils rapprochent la montée des inégalités de celle de l’endettement des ménages. Pour eux, c’est le point commun entre les décennies précédant la crise économique actuelle et celles d’avant la Grande dépression de 1929. Entre 1910 et 1929 comme entre 1989 et 2008, la part des revenus de la fraction de 1% des ménages les plus riches est en effet passée de 15% à 25%. « On a étudié comment les agents réagissaient à cette tendance, explique Romain Rancière, professeur associé à la Paris School of Economics. On a constaté que malgré l’érosion de leurs salaires, les Américains ‘d’en bas’ cherchaient à maintenir un certain standard de vie, comparable à celui des Américains ‘d’en haut’. L’expression anglaise ‘keeping up with the Joneses’ est symptomatique de cette culture où les gens se comparent constamment les uns aux autres et veulent avoir la même maison ou la même voiture que le voisin ». Les ménages pauvres ont donc abondamment emprunté pour compenser la stagnation de leurs revenus. Mais pour emprunter, il faut qu’il y ait des prêteurs. Et justement, les ménages aisés étaient à la recherche de rendements élevés pour placer leur surplus d’épargne. La soif d’endettement des ménages pauvres leur a permis d’investir dans des produits financiers adossés sur ces crédits. A noter que cette volonté d’emprunter des uns et d’épargner des autres a augmenté les besoins en services financiers et donc gonflé le secteur, dont la taille a doublé entre 1981 et 2007 pour atteindre 9% du PIB. Le gouvernement a quant à lui encouragé ce processus dans les années 90 en dérégulant le marché bancaire et en poussant Fannie Mae et Freddie Mac à accorder des prêts immobiliers aux ménages les plus modestes. De fait, il est plus facile de masquer les inégalités en encourageant le crédit facile plutôt que de s’y attaquer à travers des politiques de redistribution. « Le problème, c’est que cet endettement excessif des classes pauvres et moyennes a fragilisé le système financier : quand les prix de l’immobilier ont arrêté de progresser, des emprunteurs ont fait défaut en masse, et cela a déclenché la crise en 2007, poursuit l’économiste. La réduction des inégalités n’est donc pas seulement une question de justice sociale. C’est aussi une nécessité pour empêcher l’éclatement de nouvelles crises financières ».
Question : Comment l’économiste R. Rancière explique-t-il la crise financière de 2008 ? Par quels mécanismes une crise financière provoque-t-elle une dépression économique ( baisse du PIB et hausse du Chômage) ?
Objectif:Connaître les principaux canaux de transmission d’une crise financière à l’économie réelle : effets de richesse négatif, baisse du prix du collatéral et ventes forcées, contraction du crédit.
Document 15: Les principaux canaux de transmission d’une crise financière à l’économie réelle
La crise de 2008, comme celle des années 1930 et la plupart des crises financières, qui se manifestent notamment par la baisse du prix des actifs financiers, des faillites bancaires et la disparition de la confiance, a des conséquences sur l’économie réelle, entraînant notamment une baisse de la production et une montée du chômage. Les économistes utilisent l’expression canaux de transmission pour désigner l’ensemble des mécanismes et processus par lesquels un choc dans la sphère financière se transmet à la sphère réelle — le monde de la production de biens et services non financiers. Deux canaux principaux sont à l’origine de la transmission de la crise financière à l’économie réelle : – la réduction du financement de l’économie, du fait d’une contraction du crédit, d’une part ; – les effets de richesse négatifs sur la consommation et l’investissement des ménages et entreprises, d’autre part. Ces deux canaux sont renforcés par un troisième phénomène qui aggrave la contagion : la baisse du prix du collatéral et les ventes forcées.
Question: Qu’ appelle-t-on « canaux de transmission » d’une crise financière à l’économie réelle ?
Document 16: Effets de richesse négatifs
En 1933, I. Fisher publie un article intitulé « La théorie des grandes dépressions par la dette et la déflation ». Dans son article, Fisher insiste sur l’instabilité de l’économie (…) La cause essentielle des booms et des dépressions réside dans une succession de phase de surendettement suivies de phases de déflation. (…) Lorsque les marchés financiers se retournent à la baisse, « l’affolement des débiteurs ou des créanciers ou des deux » conduit à des ventes en catastrophe de titres (et plus généralement d’actifs), car les débiteurs cherchent à se désendetter. Mais ce comportement conduit, par un effet d’agrégation, à aggraver la situation. En effet, les prix baissent (déflation), de ce fait la valeur de la monnaie augmente et le poids réel de l’endettement s’accroit. (…) « Plus les débiteurs remboursent plus ils doivent ». Fisher souligne que la déflation a des effets réels : baisse de la production et hausse du chômage. La situation conduit à des paniques bancaires, ce qui amplifie la déflation et la dépression. Si la crise est endogène, la reprise ne l’est pas, ce qui confirme le fait que le système économique n’est pas autorégulateur.
Source : A. Beitone et C. Rodrigues, Economie monétaire, A. Colin, 2017
Question : Expliquer la phrase : « Plus les débiteurs remboursent plus ils doivent ».
Document 17: Risque de crédit et collatéral
Le mot anglais « collateral » se traduit littéralement par « garantie » et le terme collatéral, qui désigne ces garanties, est devenu d’usage courant en français dans le domaine de la finance. (…)Certaines transactions financières impliquent un risque de crédit, c’est-à-dire un risque que l’une des contreparties fasse défaut avant d’avoir rempli son obligation (par exemple rembourser de la liquidité empruntée sur le marché interbancaire). Pour pallier ce risque, du collatéral est utilisé par les contreparties à la transaction. Il correspond à la garantie financière dont un créancier (la contrepartie A dans le schéma ci-dessous) bénéficie pour se protéger contre le risque de défaut de son débiteur (la contrepartie B). En cas de défaillance du débiteur B, le créancier A a le droit de conserver les actifs remis en garantie afin de les « réaliser » par voie de vente ou d’appropriation et de couvrir ainsi la perte financière subie.
Question : Qu’est-ce qu’un collatéral ? Quel était le collatéral au moment où la bulle s’est formée pendant les subprimes aux Etats-unis ?
Question: Quel était le collatéral avant la crise de 1929 ?
Document 18: Risque de crédit, risque d’insolvabilité et risque de liquidité
Les économistes appellent risque de crédit la menace que fait peser le non-remboursement du crédit par le prêteur pour la solvabilité* de la banque. Mais la qualité des prêts octroyés peut aussi avoir d’autres effets sur la solvabilité et même la liquidité** de la banque. En effet, plus largement, elle utilise les contrats qu’elle émet comme collatéral — comme garantie — pour emprunter à très court terme sur le marché monétaire auprès d’autres institutions financières les liquidités dont elle a besoin pour honorer ses engagements. Si ces contrats venaient à perdre leur valeur, ils ne pourraient plus servir de garantie et la banque aurait des difficultés à se procurer les liquidités dont elle a besoin, courant ainsi un risque de liquidité. En somme, la solvabilité de la banque est directement liée à la valeur des contrats de prêts qu’elle a octroyés et plus largement à la valeur de tous les actifs (actions, obligations, etc.) qu’elle détient. Si la valeur de ces contrats venait à diminuer, la valeur de la banque diminuerait, la menaçant possiblement de faillite.
Solvabilité* : Capacité à rembourser ses dettes (grâce à son revenu et son patrimoine) Liquidité** : Capacité à transformer rapidement et sans coût un actif en monnaie
Question 1 : Pourquoi la qualité des prêts octroyés peut-elle avoir des effets sur la solvabilité de la banque ?
Question 2 : Pourquoi la perte de valeur du collatéral peut conduire une banque à manquer de liquidité ?
Document 19: La titrisation : une innovation financière pour se protéger du risque de crédit mais qui crée une situation d’aléa moral
Lorsque notre banque nous consent un prêt immobilier sur 15 ans, elle peut choisir de garder ce prêt dans son bilan. Elle continuera alors de recevoir l’intégralité des intérêts dus et le remboursement du principal durant les 15 années de prêt. Mais elle peut aussi sortir ce prêt de son bilan. Elle vend alors (les revenus associés à) ce prêt à d’autres acteurs, par exemple une autre banque ou un fonds de placement ; ou plutôt, en pratique, elle regroupe un certain nombre de ces prêts et les revend sous forme d’un titre financier, dont les dividendes ou coupons proviendront des remboursements que nous ferons sur nos prêts immobiliers. Entre ces deux extrêmes, la banque peut titriser une partie de son portefeuille de prêts immobiliers et en conserver une autre partie (…) ; la partie conservée sert à responsabiliser la banque, qui sera plus attentive dans l’octroi de ses prêts immobiliers si elle sait qu’elle ne pourra pas en transférer tout le risque à d’autres. Car la titrisation déresponsabilise : l’émetteur perd ses incitations à surveiller la qualité de ses prêts s’il sait qu’il n’en subira pas les conséquences. Le danger est donc que l’émetteur émette, puis se débarrasse, à travers la titrisation, des prêts trop risqués. (…) L’aléa moral en action….
Source : Economie du Bien commun, Jean Tirole, 2018 ; p°402-403.
Question: Pourquoi la titrisation déresponsabilise-t-elle la banque et crée-t-elle une situation d’aléa moral ?
Document 20
Source : Dictionnaire de Science économique ; A. Beitone, A. Cazorla, E. Hemdane
Document 21: Multiplication des situations d’aléa moral sur les marchés financiers et amplifications des risques
Comme l’explique Didier Marteau (2016, p. 197) « La crise financière de l’été 2007 a rapidement été comparée à la crise de 1929. A tort. Avec un peu de recul, on s’aperçoit que les origines des deux crises sont fort différentes. La dernière crise ne peut se comprendre sans une lecture microéconomique approfondie, complémentaire de l’analyse macroéconomique. Car cette crise est avant tout le produit, d’une part de la défaillance de la régulation, d’autre part de la multiplication des situations d’aléa moral sur les marchés financiers. »(…) Le principal risque que font courir les activités bancaires et financières au système économique provient de l’aléa moral. (…). L’aléa moral apparaît ainsi à tous les échelons du système bancaire et financier : de la vente d’un crédit par un courtier puis son octroi par une banque à sa revente sous forme de produit financier innovant à un fond spéculatif par un trader pariant avec les fonds de sa banque, elle-même couverte par les fonds publics au moyen des garanties de la banque centrale ou de l’Etat. (…) L’aléa moral apparaît ici : les créanciers ont fait confiance à la banque en déposant leurs fonds mais ils n’ont pas les moyens de contrôler l’utilisation qu’elle en fait. La banque peut adopter un comportement plus risqué que ne le souhaitent ses créanciers. (…). L’aléa moral des banques peut donc conduire à de très fortes externalités négatives touchant tout le système économique. Source:https://www.college-de-france.fr/media/campus-innovationlycees/UPL1515394288498884297_Classe_de_terminale___Science_economique___Chapitre_4.pdf
Question : Quelles sont les solutions préconisées par les économistes face aux situations d’aléa moral et d’externalités négatives ?( cours de première sur les marchés imparfaits)
Objectif:Connaître les principaux instruments de régulation du système bancaire et financier qui permettent de réduire l’aléa moral des banques : supervision des banques par la banque centrale, ratio de solvabilité.
Document 22: Deux façons de réguler le système financier
Parler de régulation des crises financières renvoie à deux problèmes différents :
-d’une part, lorsque la crise se déclenche, il s’agit de gérer, c’est-à-dire d’en limiter les effets, de maitriser les effets de contagion, d’éviter que l’on ne débouche sur un scénario catastrophe. L’absence de réaction (ou de réaction adéquate) des autorités américaines face au Krach d’octobre 1929 sert souvent d’exemple de ce qu’il ne faut pas faire
-il s’agit d’autre part, en amont des crises (mais parfois sous la pression de l’urgence), de mettre en place des institutions permettant de prévenir les crises financières en empêchant le gonflement des bulles qui débouchent inévitablement (en l’absence de mesure adéquates) sur un éclatement.
Source : Economie, sociologie et histoire du monde contemporain ; sous la direction de Alain Beitone ; collection U, A. Collin, 2016 ; p°575
Question 1 : Rappelez les moyens dont dispose les Banques Centrales pour réagir face à une dépression économique ? (Cours sur l’Europe)
Question 2 : Rappelez le type d’institution pouvant inciter les agents économiques à intégrer dans leurs calculs les externalités?
La garantie des pouvoirs publics (Banque Centrale et Etats) pour fournir les liquidités nécessaires en cas de crise
Document 22: Une intervention des pouvoirs publics pour garantir la confiance dans le système
Pour tenter de pallier ce problème d’aléa moral, les Etats ont mis en place une première forme de régulation, notamment aux Etats-Unis en 1933 : un filet de sécurité public consistant à faire garantir par l’Etat les dépôts bancaires pour rassurer les épargnants de retirer leurs fonds en cas de retournement des anticipations. Outre l’assurance dépôt qui est une règlementation explicite, la régulation s’est aussi effectuée au moyen :
de la banque centrale qui, en tant que prêteur en dernier ressort a injecté des liquidités auprès d’une banque ou du système financier pour éviter les paniques bancaires en chaîne ;
de l’Etat qui a pu renflouer ou nationaliser temporairement certaines institutions financières comme ce fut le cas en 2008, leur évitant la faillite en leur octroyant des fonds publics en provenance des contribuables. Cependant, cette régulation a des effets ambivalents : si elle protège les déposants en empêchant les banques de faire faillite… elle empêche effectivement les banques de faire faillite. Or, le risque de faillite, par la discipline de marché qu’il impose, est un mode de régulation qui conduit un agent à éviter les comportements les plus risqués. Protéger les banques de la faillite correspond à leur proposer de jouer à un jeu du type « pile, je gagne ; face, le contribuable perd » (Mishkin, 2013, p. 363) car l’Etat utilisera les fonds des citoyens pour sauver les banques. Une régulation de ce type conduit donc à augmenter la prise de risque des banques plutôt qu’à la diminuer. Ces problèmes sont amplifiés pour les banques qui ont une taille qui les rend systémiques, c’est-à-dire que leur faillite entraînerait un dysfonctionnement du système financier tout entier : faillites bancaires en chaîne et faillites des déposants (ménages et entreprises) dans des volumes si importants que la stabilité du système économique serait menacée. Les régulateurs sont ainsi encore moins enclins à laisser une grande banque faire faillite, ce qui conduit ces dernières à se considérer comme too big to fail (« trop gros pour fairefaillite »), accroissant encore la certitude qu’elles ont d’être sauvées en cas de problème.
Question: De quel type de régulation est-il question dans ce texte ?
Question: Quel est le but des politiques macroéconomiques conjoncturelles (politique monétaire et politique budgétaire ?) Ces politiques macroéconomiques suffisent-elles à lutter contre les crises financières ? Pourquoi ?
Les règles prudentielles instaurées par les pouvoirs publics pour garantir la solvabilité des banques
Document 23: Des accords internationaux pour réglementer les pratiques bancaires ( Accords de Bâle)
Les banques se doivent d’être d’une grande solidité financière compte tenu des effets d’une faillite éventuelle d’une banque sur la stabilité de tout le système financier et, au-delà, de l’économie tout entière. Cette solidité financière est essentiellement mesurée par le montant des fonds propres de la banque qui détermine sa capacité à faire face aux risques éventuels liés à ses activités (non remboursement de crédits distribués ou autres pertes de valeur de ses actifs).
Les banques doivent être en permanence solvables, c’est-à-dire pouvoir faire face à leurs engagements à tout moment. En effet, si les clients de la banque qui ont déposé chez elle leur argent (dépôts à vue) doutent de sa solidité financière, ils risquent de perdre confiance et de retirer leurs dépôts, précipitant la banque (et tout le système s’il s’agit d’une banque importante) dans des difficultés majeures. C’est pourquoi La Banque des Règlements Internationaux (BRI) dont le siège est à Bâle (Suisse) a établi des ratios de solvabilité que toutes les banques doivent respecter. Un premier ratio a été créé dès 1988. On l’appelle ratio de Bâle I (ou ratio Cooke) : Ce ratio se mesurait en comparant le niveau des engagements d’une banque (crédits et autres placements) au montant de ses fonds propres (capital apporté par les actionnaires et profits de la banque). Il était égal à 8 %. Cela signifiait que pour prêter un total de 100 millions d’euros une banque devait avoir au minimum 8 millions d’euros de fonds propres pour être considérée comme solvable. Les accords dits de Bâle II ont permis de mettre en place à partir de 2006 un ratio de solvabilité fondé sur le même principe du rapport entre les fonds propres et le montant des crédits distribués pondérés par les risques associés. (…)La crise de 2007/2008 a montré les insuffisances des règles concernant les ratios de solvabilité. D’une part, ils ont été contournés par les banques dans le cadre de la titrisation. D’autre part, ils se sont avérés insuffisants pour limiter l’effet de levier des banques et des prises de risques excessives de leur part. Le Comité de Bâle de la BRI, a adopté le 12 septembre 2010 de nouvelles règles concernant les fonds propres des banques (règles dites de Bale III). L’accord a été avalisé par les chefs d’Etat et de gouvernement lors de la réunion du G20 à Séoul, les 11 et 12 novembre 2010. Le minimum de fonds propres que les banques doivent détenir a été relevé.
Source : https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/marches-financiers/ Question: Relever la définition de « ratio de solvabilité ». De quel type de régulation s’agit-il ? A quel niveau de gouvernance ce type de régulation se situe-t-il ? Pourquoi ?
Document 24: Un renforcement des accords internes
Les réformes ont d’abord porté sur le renforcement des exigences de fonds propres avec les accords de Bâle 3 (2010). Ces exigences ont été renforcées en qualité et en quantité: les banques sont un peu plus qu’auparavant en capacité d’assumer leurs pertes. Pour la plupart d’entre elles, le minimum réglementaire est passé de 8% à 10,5% auxquels peut s’ajouter un coussin contracyclique de 0 à 2,5% de fonds propres supplémentaires (0% lorsque le crédit bancaire progresse peu, jusqu’à 2,5% en cas d’emballement du crédit repéré par les autorités de supervision). Des surcharges dites « systémiques », visant les établissements listés comme tels, s’appliquent désormais et pourront aller jusqu’à 3,5% d’exigences de fonds propres supplémentaires. Cela va dans le bon sens car les banques souffraient avant la crise d’une insuffisance de fonds propres. Reste que la philosophie d’ensemble du dispositif n’a pas changé : l’exigence reste calculée en % des actifs risqués. Or le caractère risqué des actifs est évalué par les banques elles-mêmes lorsque celles-ci disposent de modèles internes validés par les superviseurs. Ces modèles varient beaucoup d’un établissement à l’autre et plusieurs travaux (cités par Andrew Haldane, actuel chef économiste de la Banque d’Angleterre) montrent qu’ils permettent une manipulation des pondérations, c’est-à-dire une sous-estimation des risques et des fonds propres qui vont avec. Un ratio plus simple de fonds propres rapportant l’exigence au total des actifs non pondérés (ratio de levier) empêcherait ces manipulations. Un tel ratio a été introduit de manière complémentaire dans les accords de Bâle 3, mais avec un minimum de 3% qui le rend peu ou pas contraignant. Andrew Haldane ou encore les économistes Anat Admati et Martin Hellwig défendent un niveau de 15% à 20% …(…) L’Union bancaire, qui réorganise la supervision des banques d’importance de la zone euro autour de la BCE et met en place un dispositif de résolution des établissements bancaires à l’échelle européenne, constitue aussi un pas important. Il faudra toutefois veiller à ce que le projet aille à son terme. (…). Un mécanisme de ré-assurance jusqu’en 2020 puis de co-assurance jusqu’en 2024 vont être mis en place, mais il ne sera pas question d’assurance dépôt européenne avant 2024. Les dispositifs de résolution, comme celui qui fait partie du deuxième volet de l’Union bancaire sont un pan extrêmement important des réformes puisqu’ils rétablissent le bon ordre des choses : en cas de problème, actionnaires et créanciers seniors (non protégés par la garantie des dépôts) devront être mis à contribution avant les pouvoirs publics et donc aussi avant les contribuables. (…) Ces dispositifs qui prévoient donc une clause de renflouement interne (bail-in) vont renchérir le coût des ressources de marché des grandes banques qui pouvaient auparavant profiter pleinement de la garantie d’intervention des pouvoirs publics en cas de difficulté.
Source :« Bale 3 questions à Jézabel COUPPEY-SOUBEYRAN sur les réformes du système bancaire », article publié le 16/09/2016 surhttp://ses.ens-lyon.frhttp://ses.ens-lyon.fr/articles/3-questions-a-jezabel-couppsoubeyran-sur-les-reformes-du-systeme-bancaire
Question: Relever les différentes mesures qui ont été prises par les pouvoirs publics au niveau international pour réguler le système financier depuis 2008.
Question : Montrer que la « clause de renflouement interne »(dite « bail-in) est susceptible d’internaliser les externalités négatives et de faire converger les intérêts individuels avec l’intérêt général
Michel Aglietta, né en 1938 est probablement un de plus grands spécialistes de l’économie financière de XXème siècle. Il nous a malheureusement quitté le 24 avril. Personnellement, j’ai lu une partie de ses ouvrages pendant mes études. Grâce à ses ouvrages, j’ai pu mieux comprendre la création monétaire, le fonctionnement des marchés financiers, les crises financières à travers les comportements mimétiques et l’aléa moral, mais aussi la régulation des marchés financiers.
Ancien élève de l’Ecole Polytechnique, professeur émérite de sciences économiques à l’université Paris-Nanterre et membre de l’Institut universitaire de France, conseiller au CEPII et à France Stratégie, ancien membre du Conseil d’Analyse Economique et du Haut Conseil des Finances Publiques, chevalier de la Légion d’honneur, Michel Aglietta est l’un des « pères » de « l’école de la régulation ». Cette école essaie depuis le milieu des années 1970 de proposer une alternative à la théorie économique dominante néolibérale d’inspiration américaine. Elle met en avant notamment le rôle des institutions et des rapports sociaux dans le fonctionnement des économies de marché (Régulation et crises du capitalisme, 1976-1997).
Au cours de sa carrière, Michel Aglietta, a étudié le mode de régulation du capitalisme américain qui a été l’objet de sa thèse de doctorat soutenue en 1974, les crises financières (Crise et rénovation de la finance, avec Sandra Rigot, Odile Jacob, 2009), le modèle chinois (La Voie chinoise. Capitalisme et empire, avec Guo Bai, Odile Jacob, 2012). Ensuite, il s’est intéressé au devenir du projet européen (Europe. Sortir de la crise et inventer l’avenir, Michalon, 2014). Il a également co-écrit, avec André Orléan, plusieurs ouvrages de théorie de la monnaie, (La Monnaie : entre violence et confiance, Odile Jacob, 2002).
Le dernier ouvrage, dirigé par Michel Aglietta est intitulé Capitalisme. Le temps des Ruptures (Odile Jacob, 2019). Cet ouvrage propose des pistes afin d’inventer un nouveau mode de régulation du capitalisme qui est fortement gangrené par la finance, les inégalités et la destruction de l’environnement et remet en cause ce système. « La vraie richesse des nations est leur capital public », affirme Aglietta.
Voici un lien avec un interview que Michel Aglietta a donné sur sa vision du capitalisme en 2021, republié par l’Observatoire des Inégalités le 28 avril 2025:
Avant de nous expliquer la financiarisation de l’économie et ses effets, pourriez-vous définir le terme « finance » ?
Pour définir la finance, je la lie à la monnaie que je définis à son tour comme une institution reliant l’individu au collectif. Je pose l’existence d’une société comme point de départ, à l’opposé de la conception dite « orthodoxe » de l’économie qui pose que les désirs d’un individu ne concernent pas ses relations à autrui. Ils seraient innés à chaque individu et indépendants des autres. Dans une telle conception, la société n’existe pas. Au contraire, je m’inscris dans un courant de pensée – dont Keynes est la figure incontournable -, qui pose que le lien d’appartenance de l’individu au collectif dans le domaine des échanges marchands, est la monnaie, c’est-à-dire le système des paiements. Il s’ensuit que la monnaie est un langage, elle dit la valeur que la société attribue à un objet ou à un service par le paiement. En ce sens, elle est un rapport social, le rapport social fondamental des échanges économiques. En garantissant la valeur d’un échange, la monnaie est une protection pour tous.
Mais elle est ambivalente. Car elle est aussi ce que l’on désire s’approprier parce que les autres la désirent. En conséquence, son appropriation donne un pouvoir sur autrui. C’est l’essence même du capitalisme dont la logique est condensée dans la formule : « faire de l’argent avec l’argent ».
Depuis son origine dans la seconde partie du XVe siècle, le capitalisme évolue, selon les époques et selon les pays, dans des structures sociales différenciées. Plusieurs formes de capitalisme ont existé et existent actuellement, mais toutes ont la même logique unificatrice : « faire de l’argent avec l’argent ». Le désir d’argent est sans limite, puisque l’accumulation d’argent est un pouvoir sur autrui et que le désir de pouvoir n’est jamais apaisé. C’est ça, la finance, devenue tête pensante du capitalisme : un désir d’accumulation d’argent sans limite.
Quels sont les facteurs de la montée en puissance de la finance dans l’économie ? Qu’est-ce qui fait dire que l’économie est « financiarisée » ?
Le capitalisme innove sans cesse dans sa recherche de « faire de l’argent avec l’argent », ce qui engendre des contradictions et des luttes sociales. Lorsque les institutions en place sont insuffisantes pour réguler les contradictions sociales qui se transforment, et donc pour maîtriser ces innovations, on entre dans une période de crise, une époque de ruptures nécessitant de nouvelles institutions. On dit alors qu’on change de régime de croissance.
Après la Seconde Guerre mondiale, les élites économiques en Europe étaient déconsidérées par leurs compromissions avec le nazisme. Au Royaume-Uni et en France, les institutions de la protection sociale furent créées, conjointement à la montée du pouvoir des travailleurs, imposant la négociation collective des salaires. Un nouveau régime de croissance s’établit, sous forme d’un capitalisme contractuel, régulé par les nouvelles institutions qui ont permis une avancée du progrès social.
Dans les années 1970, de nouvelles contradictions se sont multipliées dans le pays émetteur de la monnaie dominante dans les échanges internationaux, le dollar. Elles ont gagné le monde entier et ont pris la forme d’une spirale inflationniste à partir d’une hausse vertigineuse des prix des matières premières (chocs pétroliers). Avec l’emballement inflationniste généralisé, la crise a menacé le socle même des économies capitalistes, la monnaie. Le péril de la mise en cause de la souveraineté du dollar, c’est-à-dire du socle du capitalisme mondial, a entraîné la contre-révolution néolibérale avec l’accession au pouvoir de Reagan aux Etats-Unis et de Thatcher au Royaume Uni. Au plan monétaire, cette contre-révolution néolibérale a ouvert la voie à un changement radical de la politique monétaire. La brutalité des décisions de la banque centrale américaine pour casser l’inflation a doublé les taux d’intérêt, une hausse qui a étranglé le crédit et provoqué une profonde récession en 1981-82 aux États-Unis et, par un effet château de cartes, une crise pour l’ensemble des systèmes financiers et des économies du monde occidental.
En réaction à cette crise, ce régime de croissance, dit « néolibéral », s’est donc imposé à partir des années 1980 en étendant la recherche de la rentabilité financière à tous les domaines des échanges : matières premières, devises, actions et, surtout, l’immobilier, profitant de l’affaiblissement du pouvoir des salariés du fait du chômage. Tout est devenu potentiellement producteur de rentes, de sur-profits, tout a été financiarisé en quelque sorte. Faire de l’argent avec de l’argent est devenue la logique dominante par affaiblissement des institutions régulatrices du régime de croissance de l’après-guerre.
La financiarisation est la forme néolibérale du capitalisme, où tout est tourné vers la recherche de rentes. Cette forme du capitalisme est toujours à l’œuvre, mais elle a connu une crise sévère en 2008.
Quelles sont ces « rentes » ?
On peut relever plusieurs formes de rentes. Premièrement, la rente financière, à travers les gains que les détenteurs d’actions réalisent sur les marchés financiers, qui va de pair avec la baisse des taux d’intérêt. Deuxièmement, la rente digitale, à partir des années 2000. C’est la capture d’Internet par des monopoles (les Big Techs, les géants du numérique) qui, du même coup, s’approprient gratuitement sur leurs plateformes en ligne des milliards de données sur les individus et en font commerce. Troisièmement, la rente d’agglomération spatiale, avec la concentration de l’activité économique dans les métropoles, la détérioration des villes moyennes et du rapport villes-campagnes. Quatrièmement, la rente d’influence : les acteurs économiques ne sont pas contrés par une régulation antitrust par exemple. Ils vont chercher à dominer la puissance publique et dicter leur loi. Cinquièmement, la rente liée à l’immobilier. Ce n’est pas un hasard si c’est une crise immobilière, liée à l’endettement que l’on avait fait contracter aux ménages modestes, qui a remis en question le néolibéralisme en 2008.
La domination de la finance est-elle liée au rôle des actionnaires dans les entreprises ?
Être actionnaire, c’est avoir un droit de propriété sur l’entreprise. Ce qui donne aujourd’hui le vrai droit de propriété, c’est le capital, autrement dit la quantité d’actions détenues par l’actionnaire. Qui a droit de vote dans les assemblées générales des entreprises, qui influence le management ? Ce sont les investisseurs institutionnels (fonds de pension, fonds de placement, assurances, etc.), actionnaires majoritaires par ceux qui leur donnent mandat, capables de faire pression sur les conseils d’administration des entreprises pour infléchir les décisions stratégiques dans le sens de la priorité donnée à la maximisation du rendement des actions.
Dans ce mouvement de financiarisation de l’économie, leur pouvoir s’est accru. Ils ont introduit un nouveau principe de gestion qui fait de la valeur boursière des entreprises une dominante et de l’intérêt des actionnaires une priorité absolue. La valeur actionnariale des grandes entreprises est devenue un principe de gestion. En l’appliquant, l’entreprise va chercher le rendement maximum à court terme, la compression des coûts, l’augmentation des dividendes, les pratiques de rachat d’actions, etc. Le système de production ne s’intéresse plus qu’à une partie de la société, les propriétaires de capitaux, aux dépens des autres parties prenantes de l’entreprise : salariés, fournisseurs, sous-traitants, pouvoirs publics, etc.
En quoi ce pouvoir accru est-il générateur d’inégalités ?
Une telle appropriation privée des fruits de la croissance s’oppose au développement et à l’entretien des biens publics. Ce sont les services et les infrastructures tels que le logement, l’éducation, la santé, la sécurité, la protection sociale, les transports, l’emploi, etc., qui sont indispensables pour qu’une société soit stabilisée, car ils évitent les situations d’exclusion, atténuent les inégalités s’ils profitent vraiment à tous. Ils nous permettent de faire tenir ensemble la société, d’éviter sa fragmentation. En démocratie, c’est l’État souverain qui doit produire et entretenir ces biens publics. Mais dans les faits, il faut un équilibre des pouvoirs entre les forces sociales pour obtenir des services et infrastructures publics vraiment pour tous.
La question des inégalités, au-delà de la répartition des revenus, c’est avant tout celle de la structure des biens publics, donc de l’investissement de l’État. Or, justement, dans les pays où la financiarisation de l’économie a dominé dans les années 1980 à 2008, cette part de richesse consacrée à l’investissement public, qui permet d’aménager ou de faire fonctionner les biens communs, a souvent diminué de moitié. En France, dans les années 1980, la part de l’investissement public rapporté au produit intérieur brut était de 4 %. En 2018, elle n’est plus que de 2 %.
Une telle dégradation des investissements publics au cours des quarante dernières années, génératrice d’inégalités, concerne la quantité des services et infrastructures mais aussi leur qualité, que ce soit les routes, les ponts, le réseau ferré, la distribution d’énergie, l’accès à la santé, à la formation ou encore l’investissement dans la recherche.
Est-ce seulement la structure de l’investissement public qui est source de l’accroissement des inégalités ?
La répartition des revenus a suivi la même tendance que celle de l’investissement public. Le revenu moyen des ménages a augmenté jusqu’en 1980 et a stagné ensuite pendant trente ans, jusqu’en 2015. C’est net aux États-Unis, mais aussi en Europe, avec un décalage de dix ans, et c’est pire au Japon. Dans le même temps, les hauts revenus ont augmenté très fortement. Et le phénomène inégalitaire est encore plus fort avec les patrimoines.
Cette forme néolibérale du capitalisme a commencé aux États-Unis dans les années 1980, puis s’est étendue progressivement en Europe. Il y a eu, au cours des trente dernières années, une concentration accrue des richesses et donc une concentration du pouvoir des classes dominantes. Cette aggravation des inégalités est une menace sérieuse pour la démocratie.
Vous estimez que l’élimination de la pauvreté doit être le premier objectif, tout en parlant « d’inégalités légitimes ». Quelles sont ces inégalités légitimes ?
Si l’on réfléchit, comme l’a fait le philosophe John Rawls, à une société juste répondant au principe d’équité , principe qui – contrairement à l’égalité – ne donne pas la même chose à tous mais peut donner plus à certains (ceux qui ont moins par exemple), on peut alors faire en sorte de tirer les choses vers le haut, insérer dans la société des individus qui ont perdu leur place. Rawls conçoit une société dans laquelle les innovations sont en faveur des plus démunis, justement sous forme de biens publics. Les inégalités sont dites légitimes lorsqu’elles permettent d’améliorer la situation des plus désavantagés.
C’est une question qui va se poser car il nous faut transformer le régime de croissance néolibéral, qui génère d’énormes dégâts sociaux et environnementaux. Des industries vont péricliter et être abandonnées. D’autres devront être créées selon des principes d’écologie politique qui ne vont pas sans un principe d’équité pour être acceptables par les populations défavorisées. Comment faire pour accompagner les salariés concernés ? Comment faire en sorte que la transition écologique, indispensable, ne pénalise pas les plus pauvres et les plus exposés ?
Il faut développer les biens publics, agir sur l’école, la formation, renouer avec la planification, afin que tous les individus (re)trouvent une place dans la société, c’est-à-dire aient accès aux biens publics indispensables. Il faut un nouveau « régime de croissance ».
Pour engager ces changements en matière d’inégalités et d’environnement, vous dites qu’il faut transformer le régime de croissance et vous préconisez un régime de croissance qui soit aussi plus démocratique. Qu’entendez-vous par là ?
Rappelons-le, un régime de croissance correspond à une époque : historiquement, le capitalisme a connu plusieurs régimes de croissance, c’est-à-dire des modes de fonctionnement différents selon les époques.
On doit aujourd’hui changer le mode de croissance qui a correspondu à toute l’époque néolibérale. Ce régime de croissance a abouti à une concentration des métropoles, à des modes de production qui ont détruit l’environnement. Ce changement ne peut s’envisager que sur une longue durée. Cette transition doit donc être à la fois inclusive (au sens de maintenir tous les individus dans une société juste), soutenable (pour ne pas aggraver la destruction de l’environnement), et démocratique (pour respecter une meilleure répartition des pouvoirs).
En démocratie, par principe, le peuple est souverain. Mais on voit bien que la démocratie représentative, dans les faits, n’aboutit pas au respect de ce principe. En réalité, le mécanisme électoral n’empêche pas ceux qui sortent vainqueurs du vote d’exercer leur domination. Les puissances privées, les pouvoirs privés phagocytent les pouvoirs publics, ils ont une influence déterminante sur le pouvoir d’État, dictent leur loi, imposent leur domination. La démocratie s’exerce aujourd’hui de façon extrêmement dégradée par rapport à son principe.
Quels pourraient être les leviers d’action au niveau des entreprises ?
Dans les entreprises, on l’a vu, l’ensemble des règles qui déterminent le fonctionnement et le pilotage, qu’on regroupe couramment sous le terme de gouvernance, est orienté par ce qu’on a appelé la valeur actionnariale qui fait que la richesse va essentiellement aux actionnaires. Cette conception de l’entreprise comme propriété des seuls actionnaires est aujourd’hui contestée au profit de l’entreprise vue comme un collectif, avec des salariés, des clients, des fournisseurs, des prestataires, etc.
Un nouveau régime de croissance suppose une transformation radicale de l’entreprise : il faudrait passer à une gouvernance partenariale, associant toutes les parties prenantes de l’entreprise, poser des critères sociaux et environnementaux pour faire que le profit soit réparti entre tous ceux qui y ont contribué.
Aujourd’hui, le capital humain est considéré comme un coût, au lieu de le voir comme un investissement. De la même façon, l’environnement, qui est un élément important du capital, n’est pas reconnu comme tel par l’entreprise. Il est pris comme une ressource gratuite.
Cette gouvernance partenariale est encore un principe en devenir, qui se trouvera confronté au besoin de définir une nouvelle répartition du profit entre tous les partenaires et tous les besoins, y compris bien sûr le renouvellement du capital, dont le capital humain. Nous n’y sommes pas encore !
Néanmoins, selon vous, il y a des leviers de changement pour réguler, dompter la finance et espérer réduire les inégalités ?
Bien sûr, il y a d’abord les luttes sociales, dont j’ai déjà mentionné plusieurs fois le rôle au cours de l’entretien. Ensuite, il y a le développement de cette écologie politique que j’ai mise en avant et que je base sur le partage (critère de l’inclusion et de la réduction des inégalités), sur la transition écologique (critère de la durabilité et de la viabilité) et le passage de la gouvernance actionnariale à celle des parties prenantes (critère partenarial et démocratique).
Ces trois critères rappellent que les trois formes de capital, le productif, l’humain et le naturel, sont liées et qu’ils ont besoin, dans ce nouveau régime de croissance, d’être plus radicalement pris en compte dans les entreprises.
Car le problème crucial qui se pose, s’il s’agit de transformer notre système, c’est celui du statut de l’entreprise. J’insiste : tant que l’entreprise sera insérée dans un rapport de propriété dominé par la souveraineté des actionnaires, donc par la prépondérance des marchés financiers, aucun changement de ses rapports à la finance ne sera possible. Il faut bien comprendre que, ce qui est appelé la « neutralité de marché », donc le laissez-faire de la logique de la valeur actionnariale, est totalement incompatible avec l’exigence d’atteindre la neutralité carbone au milieu du siècle.
Michel Aglietta est professeur émérite d’économie à l’université Paris Nanterre et conseiller scientifique au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).
Propos recueillis par Gérard Grosse, Marc Lévy et Marie-Paule Mémy de l’Observatoire des inégalités.
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